« Il a mis le café dans la tasse
Il a mis le sucre dans la tasse »
Avec une petite cuiller il a remué
Il a ajouté une larme de lait
Juste une petite larme
Mais cela a tout changé
Le café qui était noir est devenu chocolat
Le lait qui était blanc est devenu brun
La tasse qui était blanche est devenue grise Le sucre qui était dur est devenu mou
La cuiller d'argent est devenue dorée
Le café qui était chaud est devenu froid
La boisson qui devait être agréable est devenue insipide Il s'est rappelé qu'il aimait le café bien chaud Alors il a commandé un autre café crème
Bien lisse avec une belle mousse orange
Et il a remué le tout avec nostalgie
Il se souvenait des petits déjeuners d'antan
Que sa mère lui préparait à partir du lait tout droit venu de la ferme Bien chaud et... qui sentait bon. ..le lait !
Combien de fois a-t-il lui même bu au sortir du pis Le bon liquide que lui offrait sa chèvre ou sa vache Il ne sait plus très bien.
Il sait seulement qu'il se trouve au café de Flore, Seul !
Devant lui, deux tasses et personne à qui offrir la deuxième C'est trop bête !
Tant de gens n'ont pas l'occasion ou les moyens De prendre un petit déjeuner
Ils s'en vont souvent travailler l'estomac vide
Sans avoir eu le temps d'avaler une boisson chaude Qui leur aurait mis du baume au coeur
Ils seraient partis de bonne humeur de bonne heure Ils auraient un peu goûté au bonheur
De prendre un bon petit déjeuner
De déguster un croissant bien chaud
Une tartine de pain beurrée
Avec de la confiture dessus...
Ah ! ... Les bonnes confitures de grand-mère! Il ne sait plus lesquelles il préférait
Il se souvient seulement qu'elles étaient si bonnes, si douces Réussies avec les fruits du jardin fraîchement cueillis Il commande aussi un croissant
Il le trouve fade sans goût sans odeur
Eh !oui. . . La pâte n'est plus tout à fait celle qu'il avait connue Dans son enfance heureuse
La farine n'est plus aussi blanche, n'a plus la même saveur Que dans le temps, à une lointaine époque... Et le blé OGM n'a plus autant de mystère que jadis Quand on avait le temps...
Le temps où on avait du temps pour vivre,
Pour déguster les bonnes choses de la vie
Le temps où on laissait du temps au temps
Où on prenait le temps de boire la vie à grandes goulées
D'apprécier les moindres choses de l'existence...
Un carré de chocolat, Dieu, que c'était bon !
Un bol de lait chaud bien crémeux, c'était un régal
Et après cela, on avait tous les courages ; on allait au travail à pied, on avait encore le loisir de rêvasser, d'admirer les paysages, de s `arrêter quelques minutes au bord de la rivière, de regarder les poissons s'agiter ou un vol de libellule sur une tige doucement bercée par la brise. Et on n'arrivait jamais en retard au bureau.
On s'installait, on saluait les collègues
On souriait à la secrétaire, on parlait gentiment au patron
Et on commençait, sous les meilleurs auspices, sa journée de travail...
Ce matin, il sirote son café au lait.
Il ne finit pas son. croissant,
Il essuie ses lèvres machinalement
Il regarde sa montre...
8 heures ! Il faut partir.
Sinon il va rater son bus, puis son train et le métro qui n'est pas en grève,
Mais il peut toujours y avoir des surprises...
Il jette quelques pièces de monnaie sur la table,
Repousse la chaise, enfile son manteau, son écharpe,
Pousse la porte du bistrot... et se jette dans la foule.