Nocturne gris

En cette nuit blême, cette nuit de givre,
mon démon s'agite en délire ivre.
Oui je le pressens, je ne serai pas sobre
ce soir, réchauffé par le lait d'Octobre.

Holà tavernier ! Apporte donc un pichet
de ton meilleur breuvage, celui qui caché
a échappé à la bande de nautoniers.
Il est là, oseras-tu sa présence nier ?

Ce soir je suis las en mon humeur chagrine
qui, alors que je bois, ma face ravine.
Quel est donc ce chagrin qui ma vision trouble,
esprit taciturne quand je me dédouble ?

Liquide pâle, océan trembleur
pour le voyageur bavard, éternel hâbleur ,
breuvage issu de la terre, élixir divin
et travail de l'homme ; oui, j'ai nommé le vin.

Ce vin en larmes discrètes de Moselle
me fait penser à la lointaine oiselle,
mon inaccessible étoile polaire,
lumière guide à qui je veux plaire.

Venez ici les musiciens, musique !
Je veux un air étrange de Martinique
avec guitares et aussi des tambourins,
que je danse et titube comme marin

en goguette, braillard tirant une bordée.
Hisser haut le grand pavois et se saborder.
Monter aux étoiles. Explosion de rire,
en un ultime défi avant de mourir.

Ce soir l'alizé se lève dans mes voiles.
Zéro la barre ! Cap au large. Etoiles
inconnues, astres gelés, voici, j'arrive.
Je largue les amarres pour autre rive.

Je ne veux plus de la lumière grise,
de ce froid sol blanc et de vilaine bise.
Voguons à tire d'aile, vers un autre ciel,
une nature plus clémente, moins cruelle.

Si je pars ainsi, envie d'une île,
ce n'est pas défaite ou fuite en exil.
C'est pour préparer le palais de ma Dame,
le refuge où elle panse son âme.

Non point prison ni même morne réclusion
mais le terreau fertile pour son éclosion.
L'écrin révélant sa noblesse et ses charmes
qui m'ont conquis, moi qui à ses pieds me pâme.

Quand dans ce lieu vous viendrez, je serai là.
Nous aurons orchestre, cotillons, falbalas
pour honorer la venue en carrosse
d'icelle attendue pour célébrer noce.