XCII. Pour passer le temps :
Un astre en ses derniers éclats s'incline
en morne reddition sous cette colline.
Éclats rougeâtres, couleur bordeaux, vieux sang,
le crépuscule est un moment impuissant.
Regarde le soir qui si lentement descend.
Linceul des espérances, le jour va s'enfouissant.
Le bois se calme, jour et oiseau se posent ;
le jardin s'assoupit et se ferment les roses.
En lents battements d'ailes monte le grand-duc
pour démarrer sa tournée en rite caduc ;
hommage à un monde déjà disparu
que l'on attendait vainement en pied de grue.
Un œil jaune et cirrhotique dans la nuit
monte au ciel en mouvement plein d'ennui.
Les lapins sortent du terrier l'air déterré,
croupions blancs sous la lune, danse égarée.
Ce soir la page en sa blancheur aride
assèche ma plume en papier désert.
Ce soir plus de Parthe ni de flèche acide
et voici muet le baladin si disert.
La nuit est noire comme mon encre figée.
La nuit est rose comme attente mièvre.
Le soir est noir comme portail de fer forgé.
Le soir pulse chaudement comme la fièvre.
La ténèbre sombre en étreinte ferme
dans ses bras glacés d'acier mat mal poli.
La ténèbre froide ses germes là sème
ceux de désespoir calme avant l'hallali.
Noir, mort de toute lumière et de tout bruit,
absence de couleur encore plus brillante.
Noir, son mat en aplat terne qui là s'enfuit
en catimini, démarche hésitante.
Il y eut une nuit, il y a un matin
rose ténu d'aurore, odeurs de roses,
mésanges, moineaux, passereaux, petits lutins,
tous saluent la fin de cette nuit morose.
Le soleil en son habit de lumière
chasse de l'aube blême, couleur chlorose,
les brumes vaporeuses de la veille, d'hier.
Pour la journée, la dépression fait la pause.
Et le chaton de s'élancer intrépide
à la conquête des arbres, donc au bouleau.
Il regarde voler les oiseaux rapides
l’œil concupiscent, rond, attendant là son lot.
Et voici fredonnant une pauvre mouche
qui aveuglée frôle les raides moustaches.
L'offensé réagit, claquement de bouche
et voici l'affront lavé sans plus de tâche.
La vie du jardin est pleine de ces drames
petits et cruels dont s'émeuvent les dames.
Le chaton grand chasseur devant nuages du ciel
s'étire, ronronne, s'allonge au soleil.