XIX. Verre creux :
Un matin calme en lumière du Nord.
Une gentille brise agite feuilles
et rameaux, alors que pointe le remords
toujours sournois caché comme un vif écueil
prêt à éventrer la nef de mes souvenirs.
Ce vaisseau est nef des fous, pandémonium.
Oui, assemblée de fantômes pour punir.
Haletant et blême, je cherche laudanum
pour noyer les démons et baroques tourments.
Sinon, à moi les éléphants bien roses
du delirium tremens en pourpre firmament.
Des roses, je n'ai plus qu'épines moroses.
Qu'ai-je fait de mon talent ? Je n'en avais pas.
La réponse très cher sera « moins que rien ».
Alors que faire en attendant le trépas ?
Un dernier repas en homme de bien.
Une dernière bouteille d'un vin
trembleur et charmeur, Château-neuf du Pape
blanc. Un breuvage complexe et là divin.
Un vin à déguster, non de ceux qu'on lape.
Que l'on m'apporte outardes et chapons.
Poussez le feu dans la cheminée. Ces flammes
danseront en ombres joyeuses pour les fripons
de cette terre, tires-laine et dames
prétendument honnêtes et de qualité.
Ne blâmons pas ces compagnes, ces Madeleine
que nous avons tous aimées, oui en vérité,
petites vertus et grands cœurs, vraies fontaines, …
de jouvence des messieurs fatigués.
Holà faquin ! Remplis donc encore mon hanaps,
que ce soir cette compagnie paraisse gaie.
Que ta main soit ferme, épargne la nappe.
Et toi le musicien, agite ton crin-crin
pour faire danser les ribauds et ribaudes.
Leur charivari écartera mon chagrin.
Mon crâne est un navire qui se saborde.
Dessus flotte le pavillon vert de l'absinthe,
mon léthé pour oublier dame absente
en râles ivres, sanglots et longue plainte,
honte et tout le reste bus ; indécente
manifestation bien larmoyante.
Sur le mur, l'ombre pataude d'un ours danse
et virevolte. La lumière chante
un air sombre, un air étrange en transe.
C'est en mélopée, en une litanie
une chanson sentimentale, souffrance
du désert appelant désespéré la pluie
si longtemps refusée. Quelle ignorance !
Fini l'orgueil minéral en aridité.
On se croit roc et se réveille là sable ;
petits grains roulant, par le vent moqueurs ballottés,
fragile, solitaire et misérable.
Que cherches-tu ? Salut, pardon ou un futur ?
Le passé est fermé, il faut donc avancer.
Le pardon ferme la porte, rassure.
Quant au salut, laisse-moi d'abord trépasser.
Ce sera donc le futur alors, j'ai dit.
Posons ce verre ; la bouteille est vide.
Partis vin, chagrins, soucis et morne ennui.
Prenons la route, pas alerte et rapide.