CIII. Cœur en grève :
Indolent, le cœur en grève
en marche sur le rivage,
il avance en un rêve
dont tu sais qu'il a ton visage.
Et la bretonne grisaille
ici le bombarde en embruns,
gouttes salées en mitrailles,
et lui sourit à deux yeux bruns.
Il marche vers la muraille
de cet horizon si fermé
en rouleaux qui cisaillent
comme barbelés obstinés.
L'éclaircie dans les nuages,
lueur ambre comme vitrail
qui embrase le paysage
comme amour en mon poitrail.
Je sais que c'est là un leurre
qui en mon tréfonds fouaille.
Ce rêve têtu de bonheur
qui me déchire les entrailles !
Trop tard ! Je rêve de plages
bercées par les doux alizés,
crustacés et coquillages,
et nous-deux aux Champs-Elysées.
Oui, des envies bleues de corail,
douce tropicale langueur
pour une sieste canaille
qui s'étire là en longueur.
Ton cœur est terrible vainqueur
du mien. Je suis dans le pétrin
et tu arbores air moqueur
en me voyant avec entrain
voleter comme un serin,
visage tendu et air hagard,
prisonnier du rêve doux de ton sein
et de l'aumône d'un regard.
Au fond de mon pauvre crâne
tu luis en belle icône,
et moi je brais comme âne
pour prier ma madone ;
et hiératique ton œil bleu
me vois, impavide, gésir
coincé en mon pauvre trouble.
Est-ce là donc ton vrai plaisir ?
Les sentiments, là à grossir,
m'emportent en leur vive crue
qui va enflammer et roussir
ce fleuve, autrefois un rû.
Oui, cet amour tonne, orage
tumultueux et sincère,
est peut-être un mirage.
J'irai au bout de la Terre
sans relâche et sans repos
jusqu'au bout de ce mystère.
Oui, même en bandes velpeau
cloué en grabataire.
Es-tu ma triste illusion ?
Suis-je prisonnier du désir ?
T'aimer est-il ma décision
de m'évader en un loisir ?
Pensant à toi, tel carrelet
je rougi effarouché
et me cache en mon palais.
Mes peurs se sont alors lâchées.
Cependant alors que je ris
avec deux pieds dans le ruisseau ;
n'aie crainte car en ce jour gris
rien ne montera à l’assaut
et ne coupera le sifflet
de l'oiseau de mon mirage,
celui qui en tous ses allées
et venues est bon présage.
Depuis que je te connais toi,
mon cœur transporté en émois
adolescents, vif et tout pantois
de croire encore à « Toi et Moi ».