LXXXV. Et tant de printemps :
Vrombissement léger, quelques libellules
rasent les argyronètes de la mare.
Le mouvement lent des nénuphars, cupules
blanches de nymphéas en gestes avares.
Les carpes koï coites nagent paresseuses,
économie fluide gage de longévité
en nageoires molles et ouïes boudeuses,
cercles dans l'eau en une ronde entêtée ;
Musardant de-ci de-là, quelque diptère
vaticine entre les roseaux de la rive.
Dissimulée, la grenouille solitaire
attend patiente que la proie arrive.
Plouf, son bref ; deux, trois petites vaguelettes.
Voilà épitaphe de la pauvre mouche
en une brève lutte mortelle muette.
Un saut et une langue ; mise en bouche …
Un friselis sur l'onde, cimes bruissantes,
voici venir la brise, humeur harpiste
qui déroule accords mélodieux et chantent
les calmes carpes par faute de truites.
En trilles excitées moineaux déboulent,
vol de volatiles en leur cour effrénée.
Et çà et là, ballet de ces brunes boules
de plumes, danse heureuse et déchaînée.
Le temps des cerises est enfin revenu
comme le gai rossignol et le noir merle.
Qu'avons-nous prévu de faire ? Cœurs à nu
tenus dans nos paumes en précieuses perles.
Donne-moi ta main et prends donc la mienne.
Donne-moi tes lèvres et reçois là mon cœur.
Chantons des amoureux la tendre antienne
et faisons fi du stupide merle moqueur.
Viens près de l'eau. Faisons des joyeux ricochets.
Ce galet sautille comme ma poitrine
avant, apaisé, dans l'onde là se coucher
en bras soyeux, volupté d'une ondine.
Oui ma dame en ta chevelure brune
je fus capturé par le plus doux des filets.
Je suis plus figé que par d'antiques runes
et par une belle âme hypnotisé.
Ma cosmogonie est simple : toi-centrique,
et jamais il n'y eut tant de joie à aimer
et entonner le cantique des cantiques.
Pour toi, brille de mille-feux, se consumer.
D'astres en astres, jouons à saute-soleil.
Chevauchons gaiement les queues de comète.
Laisse-moi me réchauffer à tes yeux vermeil.
Ta présence fait mes jours heureux de fête.