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 Le capitaine Letanneur

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Arcani
Petit poète
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Le capitaine Letanneur Empty
MessageSujet: Le capitaine Letanneur   Le capitaine Letanneur EmptyJeu 6 Oct - 20:27

1715, une année sombre pour la Couronne de France. Le Roi Soleil s'éteignait, et avec lui toute la lumière de son siècle. Dans les auberges, dans les paroisses, partout on relayait la nouvelle : Louis XIV venait de mourir, son arrière-petit fils montait sur le trône ; un gamin de cinq ans que le destin n'avait pas semblé vouloir porter aux grandes sphères du pouvoir allait supporter sur ses jeunes épaules le poids de vingt millions de sujets. La Guerre de Succession d'Espagne venait de s'achever, des dizaines de milliers de familles ne reverraient jamais leurs fils. Les caisses de l'État étaient vides, la dette publique se creusait d'avantage, le petit peuple croulait sous les taxes.
Mais à Rochefort, au 3, rue Colbert de Terron, à quelques arpents de la Cordonnerie Royale, un gamin des rues n'entendait rien de cela ; la politique, la guerre, l'économie, c'était de ces chimères qui n'existaient pas dans son esprit. Ce gamin que tout le monde connaissait, qui faisait sourire les gens par son étourderie et sa simplicité, s'appelait Jacques Letanneur. Il avait douze ans, se promenait dans les rues, longeait les docks avec cette démarche d'adolescent qui pense que tout ce qui est autour lui appartient, et interpellant les passants, il se prenait pour l'ami de tout le monde et ricanait lorsqu'il faisait des mauvaises blagues aux poissonniers, aux maraîchers, aux buandières et aux sergents de ville. De bonne extraction, le petit Letanneur avait un père armateur qui faisait souvent la navette entre Rochefort et La Rochelle. Sa femme, Désirée, n'avait guère de temps à consacrer au petit Jacques, trop occupée dans les salons bourgeois de la ville à entretenir ses relations avec les épouses des quelques barons se chamaillant poliment pour les parcelles de terres qui bordent La Charente. L'appartement de la rue Colbert de Terron ainsi déserté des parents était entretenu par une servante que le petit appelait tante Marthe, surnom qu'elle affectionnait avec mélancolie et auquel elle répondait par des sourires bienveillants. La réalité que le petit ignorait, et qui fendait le cœur de tante Marthe quand il l'appelait ainsi, c'est qu'elle était sa mère. Le père Letanneur, ennuyé de sa femme et de la futilité de ses activités, souvent seul avec la servante et avec ses projets d'expéditions pour les Amériques, souvent en déplacement, et pour ainsi dire, rarement en compagnie de sa femme, avait un soir pris la servante pour amante. Tante Marthe avait succombé à l'autorité que dégageait le père Letanneur, homme fort, bien charpenté, les épaules larges et musclées, haut de taille, le menton carré et le regard comme deux étincelles prêtes à incendier les plus vastes forêts. Henri Letanneur, c'était son nom complet, lui avait formellement défendu de révéler le secret au petit Jacques et jamais la jeune servante n'aurait osé rompre ce pacte qui lui aurait coûté sa place dans une famille aussi distinguée et par laquelle elle jouissait de privilèges.
Lorsque Mme Letanneur avait appris la grossesse de sa servante, elle avait menacé dans un premier mouvement de rage de tout révéler à la bonne société de Rochefort, mais elle s'était ravisée de peur de se compromettre dans les boudoirs où la conduite de son époux aurait fait scandale, jetant sur elle le discrédit et la honte. Elle taisait sa colère mais gardait une profonde rancœur contre son mari. Pour tenir son rang elle avait fait semblant d'éduquer ce gosse baptisé deux jours seulement après sa naissance. Elle lui avait fait donner une instruction de petit prince grâce aux meilleurs précepteurs mais elle se désintéressait tant de lui qu'elle le laissait livré à lui-même dans les rues de la ville lorsque la leçon était finie. Le petit n'avait jamais compris cette animosité qu'il plaçait, en enfant crédule, sur le compte des bêtises et des farces qu'il faisait tous les jours. Il se croyait le coupable du ressentiment de celle qu'il pensait être sa mère. Jacques avait fini par s'en accommoder, comme le font tous les gamins que des remontrances trop répétées n'atteignent plus. La seule personne qu'il aimait ouvertement, c'était tante Marthe, sa véritable mère. Il lui sautait dans les bras, l'enlaçait de ses petites mains, la couvrait de mille baisers et ne manquait jamais de lui faire un tour ou de la taquiner, car il savait qu'elle ne se permettrait jamais de hausser le ton sur lui.
Tante Marthe aurait souhaité rendre tout cet amour à son enfant, mais les lourds secrets de la vie la forçait à contenir ses sentiments. Elle souffrait de devoir garder ses distances avec son fils, mais elle s'était persuadée avec la sagesse des années écoulées, qu'il était préférable pour l'avenir du petit qu'il soit le fils de Désirée Letanneur.
Ce jour-là, Jacques se baladait dans les rues en sifflotant des refrains de chansons populaires. Il allait mains dans les poches et béret de travers à la Cordonnerie et sur les quais, coins où il aimait flâner jusqu'au soir. En traversant la rue des Tonneliers, Jacques passait devant de nombreuses échoppes. Il interpellait tous les artisans et se faisait remarquer, mais ces derniers, tout sourire, lui répondaient comme on le fait à un gosse.
Bonjour M. Morin, votre fauteuil, ça avance ? dit-il à l'ébéniste du quartier.
Salut mon petit ! Plus que deux jours de travail et je te le montrerai, tu pourras t'asseoir et l'essayer si tu veux !
Et continuant sa route, Jacques saluait le marchand de fruit d'un geste de main.
Comment ça va ce matin, père Cochet ?
Tiens fiston, attrape-ça !
Une poire passait au travers d'une fenêtre ouverte et atterrissait dans les mains du petit Jacques.
Merci père Cochet !
Jacques croquait dans son fruit à pleines dents. Le jus lui coulait jusqu'au menton. Il s'essuyait d'un revers de manche, la bouche encore pleine, et bafouillait, un peu plus loin, quelques mots à un savetier.
Qu'est-ce que tu me racontes petit ! Mâche et parle ensuite si tu veux pas te faire botter le derrière !
Jacques riait à s'en étouffer. De tous les artisans du quartier, c'était au savetier qu'il aimait le plus faire des tours ; il lui volait parfois sous le manteau une paire de sabot ou de souliers quand il esquintait trop les siens au cours de ses aventures. Mille fois il avait promis de les rendre, jamais il ne l'avait fait. Parfois les sergents de ville lui couraient après mais Jacques les semait toujours ; agile comme un écureuil, il se rendait à l'arsenal, montait dans un navire et grimpait dans la mâture pour se cacher. Rouge de colère, humiliés par la vivacité du gosse, les sergents de ville se rendaient rue Colbert de Terron et frappaient à la porte de M. Letanneur, qui voyant débarquer des uniformes crottés du col aux guêtres, comprenait que son fils s'était encore fait remarqué dans le quartier.
Mais ce jour-là, Jacques avait une toute autre idée en tête. Il voulait aller à l'arsenal pour jouer au matelot sur la Délivrance, une goélette affrétée par son père. Le navire était revenu d'Acadie chargé de tonneaux et de coffres remplis de marchandises, spectacle irrésistible pour la curiosité d'un enfant.
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