Le couvre-feu couvait sur la ville. Les autorités menaient une opération coup de poings à la suite de l’assassinat d’un policier. Dans le quartier, près de la voie ferrée, un quartier sans foi ni loi comme on l’appelait, la nuit était tombée depuis longtemps. Les passants étaient rentrés chez eux. Les policiers patrouillaient.
Au deuxième étage d’un bâtiment vétuste, une lumière électrique brillait encore et des éclats de voix s’entendaient.
-J’ai trop mal, disait un adolescent en se plaignant de ses jambes. Elles me brûlent et j’ai envie de me gratter. Il désignait les nombreux boutons d’urticaire qui couraient sur ses jambes.
-L’eau salée n’y a rien fait. J’ai toujours aussi mal. Il faut que je marche. Je vais aller dehors.
Il s’adressait à sa mère qui l’écoutait attentivement.
-Il n’y a pas de pharmacies ouvertes à cette heure-ci. Fais attention. Ne t’éloigne pas trop. Il y a le couvre-feu et des patrouilles de police.
-J’ai trop mal aux jambes. Il faut que je sorte.
L’adolescent partit de chez lui. L’air frais et la nuit lui firent du bien. Il se mit à marcher au bord des rues et s’éloigna de plusieurs centaines de mètre de sa maison. La patrouille de police fondit sur lui comme un aigle sur un poussin. Il fut bousculé et aussitôt embarqué vers un poste de police pour vérification d’identité. Il expliqua sa situation aux policiers.
-J’avais mal aux jambes. Elles me brûlaient. Je suis sorti parce que la douleur était insoutenable. Intenable. J’ai oublié de prendre mes pièces d’identité.
Un policier leva sa matraque pour lui intimer l’ordre de se taire. L’adolescent se tut. Il était terrifié d’avoir été embarqué. Il souhaitait rentrer chez lui.
Puis, il se sentit soulagé. Un grand calme envahit son corps. Il ne ressentait plus de douleurs. Il regarda ses jambes. Plus de boutons. Plus d’urticaire. Plus de démangeaisons. La contrariété, cette forte contradiction, avait opéré un miracle. Elle avait fait partir son mal aux jambes. Quarante-huit plus tard, il était de retour chez lui.