CXXXIII. Ballade :
Aujourd’hui mon cœur garde vers pour moi.
Telle l’araignée en sa toile, son antre,
je tisse cocon, un vrai petit vers à soie.
Pas de porte fermée, mais personne n’entre.
Et verre après verre, sans plus de raison,
j’étanche ma soif à l’encrier écossais.
Ma plume en encre dorée pour oraison,
là couche mes brumes en lignes ramassées.
Il y eut les contes de Jean Ray en whisky.
Voici poème aussi issu du tonneau
écrit en strophes brouillées du même acabit,
Imbibées et plus bêtes que bigorneaux.
Dans cette tourbe iodée, l’esprit avance
fouetté par la brise marine, bruine
iodée, cris de mouettes en errance
sur une lande celtique, champ de ruines.
Au loin un cottage en son chaume luisant
attire la carcasse transie, humide,
vers le panache blanc de ce foyer fumant
pour compagnie, même insipide.
Déjà j’imagine un violon gigotant
et je sens le tabac mêlé à la tourbe.
Voici donc le havre pour mon cœur égrotant :
de l’esprit[1], des limericks sans langue fourbe.
Laissez venir à moi les bardes et lutins,
sans oublier jolies jeunes femmes rousses
à lutiner, câliner sans prêtre chagrin.
Ah ! Me rajeunir en embrassant ces frimousses.
Ce soir, je danserai avec les lecheprauns
sous la douce lune, verte émeraude,
dans les bras de Mary sous l’œil jaloux jaune
de son promis trop prude avec ribaude.
Je cherche mon sang dans mon alcool joyeux
et là mon univers est whisky dans ce vers.
Demain ? Demain, je serai moulu, œil chassieux
du voyage aux étoiles, irlandais travers.
[1] Ou « spirit »