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 "Better World Is Coming..." (Part 1)

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Manu
Petit poète
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Date d'inscription : 07/01/2010

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MessageSujet: "Better World Is Coming..." (Part 1)   "Better World Is Coming..." (Part 1) EmptyMar 19 Juin - 23:06

( Voilà le début d'une histoire que j'ai commencé à écrire. J'aimerais beaucoup avoir votre avis, et j'espère que ça vous plaira =) Je m'excuse d'avance pour la présentation, parfois ça fait de gros blocs, mais je pense que ça ne vous empêchera pas d'apprécier l'histoire. Bonne lecture! J'attends vos commentaires avec impatience et appréhension aussi...)



Prologue:


« On est à l’antenne dans dix… neuf… huit…
Pendant que le décompte se faisait, le présentateur arrangea sa cravate noire avant de racler sa gorge une dernière fois. L’homme, âgé d’environ quarante ans, portait un costume noir. C’était la troisième fois qu’il en mettait un. Et les spectateurs le savaient, ça n’augurait rien de bon…
- Trois… deux… un…
Et le présentateur commença, d’une voix grave et de circonstance :
- Bonjour à vous tous. Aujourd’hui, vendredi 26 mars 2042, le monde tel que nous le connaissons vient de s’écrouler.
Il marqua une pause avant de reprendre, avec le même ton :
- Plusieurs millions de citoyens dans 56 Etats différents se sont soulevés contre leurs gouvernements. 24 d’entre eux ont été renversés, dont les Etats-Unis, la Chine, le Japon et la quasi-totalité des pays membres de l’Union Européenne. 17 autres sont au bord de l’effondrement et les 15 restants résistent difficilement. Les forces de l’ordre ont du mal à contenir les foules, et dans certains pays comme en France, en Allemagne et au Brésil, celles-ci se sont jointes aux affrontements, prenant d’assaut les palais présidentiels, où se sont enfermés les membres du gouvernement. C’est le chaos. Les plus grandes puissances mondiales sont sur le point d’être renversées par leurs propres peuples… »

***
Trois mois plus tard, dans une interview entre un chroniqueur et une présentatrice-télé.
« […] Et donc, que pensez-vous de la situation actuelle ? demanda la présentatrice, une rousse aux yeux verts, vêtus d’un tailleur bordeaux aux reflets rouges.
Le chroniqueur – la cinquantaine, les cheveux blancs coiffés en arrière, des cernes sous les yeux et une barbe grisonnante soignée sur les joues - lui répondit alors :
- La situation est délicate, et même très préoccupante. Au moment où nous parlons, 86 Etats sont tombés. Et dans tous les pays, les gens se soulèvent contre leur gouvernement. Il y a eu beaucoup d’affrontements jusqu’à aujourd’hui…
- On a dénombré plus de 68 000 morts et 150 000 blessés au total… ajouta la présentatrice.
Le chroniqueur précisa alors :
- Oui… Et de plus, plusieurs installations ont été détruites, des quartiers prennent feu, et le taux de criminalité n’a jamais été si haut… Les chiffres dont nous disposons sont effrayant. C’est comme si Armageddon avait commencé… […] »

***
Dans les cinq semaines qui suivirent, l’ONU a été dissoute. L’anarchie s’installa. La plupart des gens cédèrent à la violence. Les forts survivaient et les faibles mouraient. Et cela dura ainsi pendant très longtemps… Ce qu’on finit par appeler le Premier Armageddon dura quinze ans. C’est alors que des gens réagirent et tentèrent de reformer le monde. Il s’agissait de ceux qui s’en étaient sortis, de ceux qui s’étaient fait un nom, sur qui les gens comptaient pour survivre et en qui ils avaient confiance. C’était ceux qui possédaient la nourriture, les différents équipements et tous les médicaments, et qui les vendaient. Bien que l’économie ait été totalement retournée, l’argent avait plus de valeur qu’auparavant. L’argent tel qu’on le connaissait avant avait été détruit, en symbole de révolution. Mais il restait quelques centaines de millions de billets et quelques milliards de pièces qui traînaient dans le monde. Malgré un nombre assez important, tout ça était rare et valait beaucoup. On payait les choses les plus courantes en rendant service, ou en donnant de son temps pour accomplir une tâche pour le vendeur. Mais les choses les plus difficiles à trouver ne pouvaient s’obtenir qu’en payant avec de la monnaie sonnante et trébuchante. Certains hommes et certaines femmes finirent par engranger de grandes fortunes et devinrent très influents et très puissants. Ils voulurent alors recréer le monde et instaurer un ordre mondial stable, différent de l’ancien. Ils se concertèrent et mirent trois ans avant de parvenir à réorganiser le monde. Dans chaque pays, on réunit ceux qui s’étaient fait un nom et qui avaient réussis à gagner les cœurs de la plupart de leurs contemporains. Chaque groupe ainsi formé était le début de la création d’un nouveau gouvernement. Ce groupe de personnes riches et influentes avait la responsabilité d’aider au développement du pays. Ils n’étaient pas élus, car on pensait qu’ils avaient l’expérience et les capacités nécessaires pour atteindre les objectifs fixés. En revanche, ceux qui les assistaient étaient élus par les citoyens. Mais…
***
Octobre 2076. Lundi 19. Le Deuxième Armageddon commença. On vivait en paix. On ne vivait pas dans la pauvreté. Les choses semblaient aller pour le mieux. Mais quelque chose vint perturber cet ordre pourtant bien établi : un homme assassinat l’un de ceux qui faisait partie du groupe qui s’occupait de son pays. L’assassin fut retrouvé par plusieurs personnes qui adoraient cet homme. Ils le tuèrent. La famille se vengea. Elle organisa les meurtres de ces personnes ainsi que des membres de leurs familles. Le sang appela le sang. Le geste d’un homme suffit à fragiliser cet ensemble. On dénombra d’abord 150 morts dans ce pays. Cependant, cet homme donna des idées à d’autres personnes. La situation se répéta dans d’autres pays en très peu de temps. On compta 602 459 morts en onze semaines dans 128 pays différents. C’est alors qu’une résolution fut proposée. Un référendum mondial. On proposa de surveiller le monde, pour dissuader les gens de commettre des crimes dans un premier temps, pour prévenir les actes suspects dans un second temps. On installa des caméras partout. Un système de surveillance très développé fut créé et chaque pays se vit dans l’obligation d’en avoir un. Les gens furent de plus en plus surveillés. Puis vint un jour où un homme proposa plusieurs articles de lois, qui furent adoptés à l’unanimité par les dirigeants de ce monde. Les « contaminés », les « saints », les « protecteurs » et les « héros » furent créés. Tout le monde fut répertorié en l’espace de huit ans et demi. Chaque pays avait beau être une démocratie, tout cela n’était qu’une façade. Le monde n’était plus qu’un concentré de règles et d’obligations. Nous n’étions pas libres.
Ce qui suit est l’histoire de l’homme qui changea les choses, malgré lui…



Chapitre 1 :


Article 1 –
Tous les « contaminés » sont libres et égaux en droit.


Il ouvrit la porte, doucement, parcourant dans le même temps la pièce du regard. Personne à première vue. Il l’ouvrit totalement et attendit un instant, pensant que quelqu’un ou quelque chose allait surgir de nulle part. Il entra alors, prudent. Il se colla le plus possible des murs et se rapprocha le moins possible des fenêtres. Il y avait cette sensation. Une impression de déjà-vu et un sentiment de peur mêlé à de la colère et à de l’excitation. Il le savait, il touchait au but. Il leva son arme, la pointant vers chaque chose suspecte. Quand il était sûr qu’elle ne représentait pas de menace pour lui, il passait à une autre, et ainsi de suite. Il se fraya un passage dans cette pièce presque vide, où il n’y avait qu’une bibliothèque et un bureau.
L’homme était là, assis dans son fauteuil confortable, tourné vers la fenêtre. Il contemplait les étoiles. Il se rapprocha de lui, sans baisser la garde. Il s’était déjà fait avoir par le passé. Il ne commettrait plus cette erreur. Il s’arrêta donc à environ deux mètres de l’homme, derrière lui, pointant le canon de son revolver vers sa tête. Il ne prendrait plus de risque. Il fallait qu’il soit prêt à aller jusqu’au bout pour s’en sortir…
« Tu es finalement parvenu jusqu’ici… constata l’homme dans un soupir.
- Surpris ? demanda-t-il dans un sourire nerveux.
- Oui. On m’avait dit que tu étais exceptionnel, mais je ne m’attendais pas à ce que tu le sois réellement.
- Vous savez pourquoi je suis venu, alors dîtes-moi ce que je veux savoir ; qu’on en finisse, ordonna-t-il en raffermissant sa prise sur son arme.
L’homme détourna ses yeux de l’immensité scintillante. Il se retourna doucement en levant les mains pour ne pas l’affoler. C’était un homme d’environ cinquante ans, aux yeux fatigués, aux cernes prononcés, à la peau brune et au crâne presque dégarni. Il était vêtu d’un superbe costume bleu marine luisant. Cet homme lui fit alors face et soupira, se frottant les yeux et le front.
- N’essayez pas de gagner du temps ! s’écria-t-il. Ne jouez pas à ça avec moi !
- Tu n’as pas idée… commença l’homme avant de se taire brusquement.
- Quoi ? De quoi n’ai-je pas idée ? s’exclama-t-il en s’avançant.
L’homme ne dit rien pendant quelques secondes. Il finit par se redresser et il reprit :
- Tu n’as pas idée de l’importance que tu as pour eux… Si tu pouvais au moins comprendre quel est ton rôle, ou ce qu’on attend de toi, ça nous simplifierait grandement les choses, expliqua l’homme, calmement.
- De quoi est-ce que vous parlez ?
L’homme détourna un instant le regard, puis le regarda à nouveau et déclara :
- Jeremy, tu… »
***
La sonnerie du réveil le tira violemment hors de ses rêves. Il abattit son poing dessus et se rendormit aussitôt. Neuf minutes plus tard le réveil sonna de nouveau. Il essaya de remettre ses idées en place. Il devait se lever mais il n’en avait pas la moindre envie. Encore une journée horrible à affronter…
Il finit par se lever. Il prit une douche et s’habilla rapidement. Il se dirigea vers la porte en enfilant sa dernière chaussure. Habituellement il n’avait aucun mal à la mettre, mais c’est évidemment quand on est pressé qu’on ne sait plus comment mettre une chaussure.
Il s’arrêta devant la porte et soupira, soulagé. Deux secondes plus tard il entendit des bips derrière la porte. Celle-ci devint transparente et quelqu’un apparut de l’autre côté. Il était vêtu d’un pantalon noir, avec des contours blancs, et une veste semblable, aux manches longues. Il y avait un blason représentant la silhouette de la tête d’un lion qui poussait un rugissement. Cet homme l’examina un court instant puis lança, avec une voix rauque et sur un ton désagréable :
« Identifiez-vous ?
- Jeremy Douze Seize Douze.
- Confirmation demandée, exigea l’homme, sur le même ton.
- Six, treize, vingt-sept, un, quatre, quatre-vingt et quatorze, répondit Jeremy en soupirant sur le dernier.
- Merci. Bonne journée. »
Et il partit sans demander son reste.
Jeremy soupira encore une fois. Ca commençait à le fatiguer tous ces contrôles. Depuis l’installation du couvre-feu, il y en avait un chaque soir et chaque matin. Personne ne devait être dehors, sauf ceux qui avaient les autorisations nécessaires. Ou ceux qui avaient envie d’en finir avec la vie… C’était presque devenu une façon simple et rapide de se suicider. Il faut avouer que les contrôleurs ont la gâchette plutôt facile. Après tout ils font partie des privilégiés. Ces personnes qui n’ont pas subi les conséquences de la crise de 42. Cette année là, le monde fut frappé de plein fouet par ce qu’on appela le Premier Armageddon. Des émeutes par dizaines, dans chaque pays du globe. Les gens étaient devenus fous. Seuls ceux qui avaient les moyens s’en sont tirés sans trop de dégâts. Pas forcément les plus riches, mais surtout ceux qui ne s’étaient pas laissés entraînés dans cette folie. Ceux qui avaient réussi à retourner la situation à leur avantage en vendant de quoi survivre. Ils avaient gagné en argent et en prestige, si bien que pour les remercier, les Etats du monde entier leur accordèrent des privilèges. Ce sont ces mêmes Etats qui se sont unifiés afin de faire face à cette crise sans précédent et qui avaient décidés ceci : il fallait surveiller tout le monde, le plus possible. Résultat : sur les dix milliards d’habitants composant ce qu’on appelle l’Humanité, six milliards sont surveillés nuit et jour par quatre milliards de personnes jugées « en voie de guérison » ou alors, carrément dîtes « digne de confiance ». On les appelait le plus souvent les « saints ». Il s’agit de politiciens, des chefs d’entreprises, des plus grands scientifiques et de policiers. En gros, ce sont ceux qui ne travaillent pas en usine. Un monde prônant la démocratie et l’égalité tout en étant le plus strict possible afin d’empêcher le plus de dégâts possible.
Jeremy était l’un de ces gens « potentiellement dangereux », seul héritage de ses parents, qui ont la chance de ne plus vivre dans ce monde. Les gens comme ses parents ne possèdent que très peu de choses et s’ils meurent parce qu’ils étaient un « danger », leurs enfants n’héritent de rien. L’état récupère tout. Absolument tout… Jeremy n’avait donc rien à lui qu’il n’eut gagné en travaillant durement durant ces quinze dernières années. Il n’était rien de plus qu’une série de numéros parmi six milliards d’autres nombres. Un « contaminé »…
Il sortit de chez lui. Il se dirigea vers l’abribus et attendit que son carrosse arrive. Il y avait beaucoup de monde. Tous attendaient le bus, las. Les hommes étaient vêtus comme lui : un pantalon noir, une veste noire dont les coutures, rouges, faisaient ressortir les contours ; les femmes elles, portaient les mêmes vêtements, à une différence prête : ils étaient rouges et les coutures étaient noires. Ils semblaient ne rien ressentir, sauf de l’inquiétude. Le bus finit par arriver, et alors, tout le monde se raidit, même Jeremy. Ca faisait des années qu’il faisait ça, et l’angoisse était toujours là. Le bus se gara et n’ouvrit pas ses portes. Un panneau s’alluma sur le côté du bus, remplaçant alors deux vitres. On pouvait y lire : « Tirage de la journée... »
Des noms furent annoncés. Shannon Quinze Deux Huit, Mike Six Vingt-Sept Un, Jennifer Cinq Quatre-vingt Treize, Killian Un Soixante-deux Onze, et d’autres encore. Ils poussaient doucement les autres pour se frayer un chemin jusqu’aux portes du bus et ils présentèrent le tatouage qu’ils avaient tous au niveau du poignet droit ou gauche. Ce tatouage était tout simplement composé de la première lettre de leur prénom et des numéros qui le composaient. Le tatouage était fait sur le poignet de la main avec laquelle ils écrivaient. Il arrivait que les contrôleurs demandent à ceux qu’ils interpellaient d’écrire avec la main tatouée. Pourquoi ? Certains avaient essayé de reprendre l’identité d’un ou d’une autre, et ils s’étaient tatoués l’autre poignet pour avoir deux fois plus de chances d’aller travailler. Ils se rendaient rapidement compte si ce n’était pas le bon tatouage. Les sanctions étaient sévères. Pour les plus chanceux, on leur brulait la peau et on rendait le tatouage illisible. Ou alors on coupait la main. C’est arrivé plusieurs fois déjà.
« Jeremy Douze Seize Douze », annonça finalement l’ordinateur. Jeremy se sentit soulagé. Il se dirigea vers les portes et présenta son tatouage au capteur optique. Les portes s’ouvrirent. Il eut à peine le temps d’entrer. Elles se refermèrent à nouveau. Un nouveau nom fut annoncé. Quelqu’un d’autre vint. Les portes s’ouvrirent pour lui, puis se refermèrent une fois à l’intérieur. Comme Jeremy il s’assit. Etant le vingt-septième à avoir été appelé, Jeremy s’assit à la place portant le même numéro. Quand ils furent au complet, soit cinquante, le bus démarra et ils furent emmenés vers l’usine. Là où ils travaillaient tous. Il y avait vingt-cinq hommes et autant de femmes. Le système était devenu strict, mais il mettait les hommes et les femmes au même niveau dans tous les domaines de la vie. Désormais une femme était tout aussi peu importante qu’un homme aux yeux du gouvernement, tant qu’il ou elle faisait partie de ces gens considérés comme potentiellement dangereux. Le trajet dura un quart d’heure. Un quart d’heure pendant lesquelles Jeremy et les quarante-neuf autres passagers purent écouter la seule et unique station de radio du pays : « BWC FM ». Ca voulait dire « Better World is Coming ». La plupart vous dirait qu’ils l’attendent toujours ce monde meilleur…
« Aujourd’hui, vingt-sept septembre 2087… »
Jeremy écouta rapidement les informations lorsqu’elles furent diffusées. Rien de bien nouveau. Un « contaminé » avait tenté de prendre en otage les occupants d’une usine. Les «protecteurs» s’étaient vraisemblablement chargé de lui, mais il y eut des dommages collatéraux : quatre « contaminés » périrent pendant l’assaut. Jeremy imaginait facilement ce qui avait pu se passer… Il préféra ne plus y penser et écouta le reste des informations. La visite d’un groupe de « Héros » dans chaque grande ville, afin de « redonner un objectif aux citoyens de ce monde », d’après ce que disait l’animateur radio. « C’est nécessaire, afin que tous voient à nouveau qu’un contaminé peut finir par devenir un héros, comme cent millions d’entre nous. » Jeremy sourit doucement, tâchant de se rappeler des derniers chiffres officiels : quatre milliards de saints, trois milliard de «protecteurs» surentraînés et prêts à tout pour préserver l’ordre instauré, un milliard de fonctionnaires. Dans cette dernière catégorie, il y avait les dirigeants des différents Etats, tous des démocraties, mais aussi les gens travaillant dans toutes les administrations existantes et mêmes ceux qui étaient chargés de nettoyer les villes en vidant les poubelles. Et parmi ces gens travaillant au sein même de l’Etat, il y avait cent millions de héros. « Cents millions… » répéta Jeremy pour en lui-même.
Le bus s’arrêta devant les grilles d’un gigantesque bâtiment. Jeremy descendit avec les autres et ils se dirigèrent, en deux rangs, les femmes à droite et les hommes à gauche, deux par deux, vers les vestiaires. Ils se séparèrent puis se changèrent. Les hommes se revêtirent d’une combinaison grise, qui avait des motifs bleus, tortueux et ondulés. Et les femmes portaient le même genre de combinaison, d’un gris plus clair, et avec des motifs violets-roses, identiques à ceux des hommes.
Jeremy s’arrêta devant le miroir. Il avait les cheveux bruns, courts, et légèrement ondulés. Sa peau était bronzée et ses yeux marrons. Il mesurait près d’un mètre quatre vingt cinq et pesait dans les quatre vingt kilos. Il remit rapidement ses cheveux en place en soupirant, puis sortit des vestiaires.
Ils se retrouvèrent de l’autre côté, et se remirent en rang. Il n’y avait personne pour les guider. Tous savaient où aller. Depuis des années c’était le même rituel. Ils traversèrent un couloir au sol et au plafond blanc. Les murs de chaque côté étaient transparents et ils pouvaient alors voir les autres équipes travailler avec ardeur. Jeremy jeta un bref coup d’œil puis fixa de nouveau la porte qui se trouvait au fond du couloir. Elle allait déboucher sur une salle assez grande, où il y aurait vingt cinq tables hexagonales, la moitié appartenant à chacun des employés présents. Il y avait un homme et une femme par table, exécutant le même travail. Pourquoi ? Jeremy sourit en repensant aux raisons qui ont conduits à ce système. Officiellement c’est pour respecter la parité. Officieusement, c’est pour mettre à profit la rivalité homme-femme. L’homme ne veut pas faire moins que la femme et la femme veut faire plus que l’homme. Ajoutez à ça un nouveau système de travail. Il s’agit d’un jeu. Vous assemblez différentes pièces entre elles et vous gagnez dix points par pièce terminée et correcte. Plus vous en faîtes, plus vous gagnez de points. Après vous échangerez vos points contre de la nourriture, ou bien contre des produits nécessaires à l’entretien de votre maison ou de votre corps.
Jeremy gagnait en moyenne trois cent points par jour. Il vivait seul et pouvait dés lors économiser. Il mettait ce qu’il pouvait de côté pour se faire plaisir de temps en temps. La nourriture lui coûtait une centaine de points par jour. Le reste lui permettait de payer le bus et le loyer. Il lui restait généralement une trentaine de points à la fin de chaque journée. Tout se payait au jour le jour désormais. Jeremy n’avait jamais eu de problème jusqu’à maintenant. Il vivait seul depuis des années. Et il n’était pas près de s’arrêter ; ses grands parents avaient tous les deux plus de quatre vingt ans et ils travaillaient encore aujourd’hui. Mais bon, à vrai dire, il s’en fichait pas mal. Il voulait faire le minimum pour vivre une vie correcte et décente. Il voulait tout simplement s’en sortir alors que d’autres cherchaient à graver les échelons. Car les médias encourageaient les contaminés à tout faire pour gagner le statut de saints. Pour cela il fallait être irréprochable, travailler comme un dingue, et prier pour qu’on examine son dossier avant de mourir ; le plus grand souci étant de ne pas mourir de faim ou de ne pas tomber par malchance dans une rixe entre un groupe de résistants et de «protecteurs». Les dommages collatéraux étaient le cadet de leurs soucis. Ils se fichaient de tuer quelqu’un par mégarde. Au pire, ils n’y faisaient pas attention, au mieux, ils se disaient que c’est un service qu’ils leur auraient rendu. Mais il arrive de temps en temps que des contaminés obtiennent le statut de saints. Ca arrive trois ou quatre fois par an, par groupe de cinquante à chaque fois. Cinquante contaminés pris dans le monde entier. Jeremy se souvenait de toutes celles qu’il avait vues à la télévision, mais il ne voyait pas nécessairement l’intérêt d’en faire l’objectif de toute une vie… Il ne pensait pas qu’ils avaient tort mais il se disait que ça ne lui conviendrait pas. Il préférait sa vie routinière, calme et sans soucis. Il vivait comme la plupart des gens, au jour le jour et n’aimait pas planifier ses journées à l’avance. Il mettait juste de côté pour ne pas être pris de court par un besoin soudain.
La journée de travail commença. Il prit place devant sa table et s’assit. Une femme s’assit devant lui. Elle le salua gentiment, sans rien ajouter de plus. Jeremy la salua en lui rendant son sourire. Sur ce plan là aussi, il n’était pas à plaindre. Il avait une collègue très amicale et qui ne cherchait pas à entrer en conflit avec lui. Elle s’appelait Andrea. Son vrai nom était Andrea Trois Trente Cinquante-Six. Elle travaillait « avec » lui depuis sept ans. Mais pour être franc, Jeremy n’aurait su dire ce qu’elle aimait, quel était son passé ou comment elle voyait l’avenir. Il ne la voyait pas beaucoup et ne pouvait lui parler durant leur temps de travail. Déjà, des robots circulaient, volant autour d’eux et contrôlant leurs faits et gestes. S’ils étaient pris en train de parler, les robots le signalaient et ils étaient conduits hors de l’usine par des vigiles. Et là, vous pouviez être certain de ne pas retrouver de boulot avant deux voire trois jours. Chose qu’on ne pouvait pas se permettre si on désirait survivre. Du coup, ils ne se parlaient que pendant la pause, et encore… Le temps de pause était d’une heure. Hors, Andrea mangeait avec une amie qui fumait. Du coup, elle allait dans la zone fumeur de la cantine. Jeremy mangeait avec d’autres personnes, qu’il connaissait plus ou moins, et qui ne fumaient pas. C’est pourquoi ils ne se croisaient que peu de temps, souvent lorsqu’ils allaient aux toilettes. Elle y allait quand il en sortait ou inversement. Ils s’arrêtaient un petit moment histoire de prendre des nouvelles. C’étaient de petites conversations, qui ne duraient guère plus de cinq minutes, mais qui ponctuaient chaque journée, et qui malgré tout leur donnait un peu de joie lors de ces journées monotones. Bref, Andrea était pour ainsi dire un rayon de lune dans une nuit sombre. Et elle-même pensait la même chose à propos de Jeremy. Sans être amoureux l’un de l’autre, sans être véritablement proches, ils s’entraidaient et appréciaient la compagnie de l’autre. Ce qui n’empêchait pas les collègues masculins de Jeremy de lui faire une remarque sur ce sujet lors de la pause. Et ce qui n’empêchait pas non plus Jeremy de rougir un peu lorsqu’on abordait le sujet.
Il faut dire qu’Andrea n’était pas moche, sans être pour autant ce que certains considéraient comme un canon de beauté. Elle avait des cheveux blonds, assez longs, fins, droits et brillants. Elle devait mesurer un mètre soixante-dix. Elle avait la peau claire, les yeux bruns et elle était plutôt fine. Elle devait avoir un ou deux ans de moins que Jeremy. Elle souriait facilement, mais pourtant pas sans raison.
Jeremy devait reconnaître qu’à part pour survivre, il travaillait pour la voir. Il l’aurait bien invité à boire un verre, mais plus il y réfléchissait plus ça lui paraissait stupide. « Et si ça marchait. On vivrait ensemble. On se marierait peut-être. On aurait des enfants. On devrait faire plus de sacrifices. Les enfants ne seraient pas forcément heureux. Nous ne serions pas forcément heureux. Elle finirait peut-être par me quitter. J’y perdrais. Mais sinon, peut-être qu’on serait juste ensemble au début, peut-être qu’elle finirait par se lasser de moi, par vouloir voir ailleurs, et par ne plus vouloir travailler avec moi. J’y perdrais là aussi. Et même si elle ne me quitte pas, ça finira mal. Quoi que je fasse, j’y perdrais, alors autant ne rien faire. »
Il n’y réfléchissait pas plus. Il était plutôt rare de trouver un bonheur simple dans la société actuelle. Jeremy ne voulait pas faire de bêtise et perdre ce qu’il avait réussi à obtenir. Il était le genre de type à se taire et à se tenir à l’écart pour ne pas qu’on avoir de problème. Mais on ne pouvait pas lui en vouloir. Il le savait très bien : étant le fils de deux résistants, la moindre erreur lui coûterait pour ainsi dire la vie. Il n’avait pas le droit à l’erreur.
Neuf heures. Le départ fut donné. Jeremy prit une pièce dans la boîte rouge qui se trouvait devant lui. Il s’empara ensuite celle qui était dans la boîte verte, à sa gauche. Il positionna les deux pièces, l’une par rapport à l’autre. Puis il se saisit d’une autre pièce, dans la boîte bleue à sa droite. Il la positionna elle aussi par rapport aux autres. Il fit de même avec d’autres pièces, qui se trouvaient dans différentes boîtes, juste devant lui. Sur les côtés, il y avait aussi des boîtes, plus petites, mais qui contenaient des éléments permettant de maintenir l’ensemble une fois que toutes les pièces seraient assemblées. Chaque semaine, la demande changeait. Il pouvait s’agir de jouets, de systèmes mécaniques, de produits électroménagers, etc. Ils ne s’ennuyaient pas trop. C’était du travail à la chaîne mais ça restait supportable… Les robots de surveillance passèrent plusieurs fois à côtés d’eux, mais ne s’intéressèrent pas très longtemps à eux, étant donné qu’ils travaillaient rapidement et en silence.
Midi et demi. Pause-déjeuner. Une sonnerie retentit. Jeremy se leva et se dirigea vers la cantine. Il se joignit à la queue qui commençait à se former. Il y avait beaucoup de bruit, ce qui tranchait avec le silence quasi-perpétuel dans lequel il travaillait. Il passa à côté d’un guichet où une femme lui scanna son tatouage. Elle lui dit alors : « Nombre de pièces faîtes ce matin : quinze. Nouveaux crédits obtenus : cent cinquante. Totale des crédits en stock : deux cents. » Jeremy acquiesça puis poursuivit son chemin, laissant la place à quelqu’un d’autre. Il se rapprochait doucement mais sûrement de self-service. Vint alors son tour. Il passa son tatouage devant une borne, qui bipa en signe d’approbation. Il se saisit d’un plateau, le posa et commença à se servir. Ils avaient le droit à une entrée, à un plat principal et à un dessert. Il prit des œufs mimosas avec des tomates, un steak cuit avec des pommes de terre et un yaourt aux abricots. Il s’assit au bout d’une table, avec les mêmes personnes que d’habitude. Jeremy ne connaissait pas par cœur leurs noms en entier. Il savait juste qu’il y avait Bryan, Paul, Max, Julian, Anthony, Charly et Sean. Ils mangèrent en discutant rapidement de tout et de rien. Leurs discussions tournant souvent autour du système, de ce qui n’allait pas, de ce qui était bien dans le fond, et de la façon la plus efficace de s’en sortir.
Un quart d’heure avant la fin de la pause, Jeremy quitta la table, sortit de la salle et déposa son plateau. Il se dirigea ensuite vers les toilettes. Il entra, fit sa commission, leva les yeux vers le plafond et soupira… Il n’eut pas à tirer la chasse d’eau – car elle était automatique –, se lava les mains et sortit. Dix mètres plus loin, face à lui, Andrea. Elle se dirigeait vers les toilettes. Jeremy se rapprocha et une fois suffisamment près, il s’arrêta. Elle fit de même.
« Comment tu vas ? demanda-t-elle.
- Bien. Et toi ? fit Jeremy en souriant.
- Ca va…
Elle laissa ses mots en suspens pendant une dizaine de secondes, regardant Jeremy, puis regardant par la fenêtre, à sa droite. Elle semblait hésitante. Jeremy ne voulut pas la brusquer. Il contourna la question, sans trop y réfléchir :
- Quoi de neuf depuis hier ?
- Pas grand-chose… avoua-t-elle en souriant. A part que mes voisins ont déménagé, hier dans la journée.
- Ah ? s’étonna Jeremy.
C’était surprenant dans le sens où on ne pouvait pas se permettre de déménager. D’abord parce que ça signifiait qu’on perdrait le salaire d’une journée, qu’on devrait louer les services d’une entreprise ou d’amis si on voulait le faire en une journée, et donc qu’il faudrait dépenser. Déménager n’était plus une question de temps, mais une question d’argent. On ne pouvait se permettre de le faire.
- Tu habites où déjà ?
- Dans le secteur six… dit-elle en hésitant légèrement.
Jeremy comprit son hésitation : le secteur six était l’un des quartiers les plus dangereux, en plus d’être l’un des plus pauvres. Mais Jeremy comprit également qu’en fait ses voisins n’avaient pas déménagés… Ils avaient été arrêtés par des « protecteurs ». Une rafle. « Ses voisins avaient dû se fourrer dans un pétrin pas possible en contactant des gens peu recommandables. L’Etat ne pardonne pas avec ça… Pourtant ils auraient dû savoir que c’était du suicide. Le réseau de surveillance est plus qu’opérationnel. On ne peut même plus pisser tranquille… »
Jeremy pu alors voir la peur dans ses yeux. Elle n’avait certainement jamais imaginé que les « protecteurs » puissent être si proches d’elle. Elle avait peur, peur de finir comme eux. Ce n’était pas la peur de mourir. C’était celle de ne pas savoir où elle finirait. L’angoisse d’être en vie sans vraiment pouvoir vivre.
- Tant que tu n’as rien à te reprocher, ils ne pourront pas penser que tu es un danger, la rassura Jeremy en souriant.
- Oui, mais…
Jeremy lui fit non de la tête, doucement et brièvement. Elle s’interrompit aussitôt. Un robot passa à côté d’eux, venant de derrière Jeremy, ralentit avant de repartir en trombe, volant comme une mouche, à hauteur de visage. Jeremy soupira, puis lança :
- Ne t’inquiète pas. Fais ce qu’il faut, juste ce qu’il faut, et tu pourras vivre tranquillement sans avoir à les craindre…
Il se remit en marche, passa à côté d’elle et posa sa main gauche sur l’épaule gauche d’Andrea. Elle le regarda, rougissant un peu. Jeremy se contenta de sourire. Elle se sentit tout de suite mieux. Elle avait moins peur. Jeremy le vit dans son regard et repartit en disant :
- Allez, il va falloir retourner bosser… »
Et il partit. Elle se retourna un instant et le regarda s’éloigner. Elle ne comprenait pas comment Jeremy faisait pour vivre comme ça. Il était à la fois insouciant mais savait réconforter les autres. Enfin, tout du moins, c’est ce qu’il semblait être. Après toutes ces années à discuter rapidement régulièrement avec lui, elle était parvenue à se faire une idée de lui. Elle ne savait rien de son passé, si ce n’est qu’il ne pouvait se permettre une seule erreur. Il était extrêmement prudent, se tenant à l’écart des gens en général, sauf d’elle et de ses collègues. Il ne sortait quasiment jamais, sauf pour faire ses courses ou pour aller au cinéma de temps en temps. Mais sinon, il ne sortait pas. Comme si les autres pouvaient représenter un danger. « On est constamment surveillé, lui avait-il dit une fois. On n’a jamais autant vu un dicton se vérifier. ‘Dis-moi qui tu fréquentes et je te dirais qui tu es.’ Choisir mal ses fréquentations, c’est risquer sa vie. Et je préfère ne pas être trop proche des gens. Soit ils me nuiront, soit je leur nuirais. On pourrait penser que je joue le jeu de l’Etat en faisant ça, mais en fait, je les bloque. Ils n’ont aucun intérêt à surveiller quelqu’un qui n’a aucune sinon peu de relations sociales. Je suis comme un poids mort. Ils me laissent tranquille du coup. Et ça vaut mieux pour moi… »
Il ne lui en avait parlé qu’une seule fois. Tous deux savaient qu’on les écoutait à différents moments de la journée. Jeremy était très prudent. Il avait pris l’habitude de vérifier à chaque fois où pouvait être les caméras ainsi que les robots de surveillance. C’était devenu instinctif.
Le reste de la journée passa plutôt vite. Jeremy fit quinze autres pièces. Soit au total, trente. Ca en faisait cinq de plus que la plupart des autres employés. C’était l’une des raisons pour lesquelles il était quasiment toujours pris. Une sonnerie retentit, marquant la fin de la journée. Il était dix-sept heures trente. Ils se remirent en colonne et sortirent, effectuant le chemin inverse, passant par le couloir au mur et au sol blancs, puis se changeant dans les vestiaires. Ils sortirent de l’usine et retournèrent dans le bus qui venait d’arriver. Ce dernier les ramena au même arrêt de bus que celui du matin. Ils descendirent et se frayèrent un chemin à travers la foule, qui les ignora, ne pensant plus qu’à voir leurs noms s’afficher sur le moniteur du bus, espérant pouvoir travailler de nuit. Tandis qu’il s’éloignait et retournait chez lui, Jeremy jeta un coup d’œil vers ces personnes. Il se souvint du temps où il lui était arrivé de travailler de nuit lui aussi parce qu’il n’avait pas été choisi la journée. Or, la nuit, les employeurs sont plus exigeants que lorsqu’on travaille de jour. Allez savoir pourquoi… Mais du coup, Jeremy avait pris un rythme qu’il avait gardé, même après avoir intégré les équipes de jour. Il était lui était même arrivé de travailler un jour et une nuit, de faire une pause d’une journée, de travailler ensuite une autre nuit, puis une journée, puis de travailler seulement la journée pendant quelques temps. C’était du temps où il apprenait à gérer son argent, après avoir fini ses études élémentaires.
Il retourna donc chez lui. Il ne savait pas ce qu’il allait faire. Peut-être mangerait-il un morceau, regarderait-il la télévision pendant quelques minutes puis irait se coucher. Ou bien regarderait-il un film. Il n’en savait rien. Il ne voulait pas y réfléchir plus longtemps. « J’improviserais… » conclut-il en inspirant puis en expirant profondément.
Comme à son habitude il descendit une partie de la rue principale de la ville, là où se trouvaient tous les grands commerces et tous les magasins où on pouvait trouver ce dont on avait besoin. Les rues étaient bondées de piétons. Il n’y avait plus de voitures. Un décret de 2062… En fait, seuls les protecteurs et les héros pouvaient en utiliser sans avoir de compte à rendre. Les saints pouvaient conduire, mais il fallait payer très cher et leur usage restait limité. Désormais, on devait marcher ou prendre les transports en commun. La plupart du temps seuls les bus roulaient, les piétons s’écartant par moments pour les laisser passer. Jeremy aimait marcher au milieu de la rue. Cela lui permettait d’avoir une vue d’ensemble de ce qui l’entourait. Il regardait autour de lui, tranquillement, sans penser à quelque chose en particulier. Il observa les rues qui commençaient à certains moments, à droite et à gauche, s’enfonçant ensuite dans les quartiers résidentiels. Il y en avait peu et toutes portaient le nom d’un « héros ». En fait, chaque ville était devenue une sorte de losange, avec deux rues principales, formant une croix, et des rues qui partaient à droite ou à gauche et qui se retrouvaient avec celles de l’autre branche de la croix. C’était un losange carré, parfaitement symétrique, parfaitement ordonné. A lui seul, il donnait l’impression que les gouvernements qui avaient fait ériger ces villes prônaient l’égalité, mais il n’en était rien. L’ordre seulement comptait. Rien d’autre. Il fallait que tout soit parfaitement structuré et que rien ne vienne le perturber.
Quelque chose en revanche vint perturber Jeremy. Son ventre émit un gargouillis suffisamment important pour lui faire comprendre qu’il était temps pour lui de manger. Jeremy sourit doucement en pensant alors à ce qu’il pourrait manger. Des pâtes, une pizza, un hamburger, un steak, des légumes,… Il y avait tant de choix avec tous ces magasins qui s’étaient depuis quelques temps essayé à la restauration rapide. Jeremy ne changea pas ses habitudes. Il se rendit au même restaurant qu’hier. A vrai dire, ça faisait bientôt trois ans qu’il mangeait tous les soirs ici. A son arrivée, un serveur l’interpella :
« Eh ! Jerem’ ! Ca va ?
Jeremy le salua en souriant. C’était Bob. Un gars de son âge, aux longs cheveux bruns, attachés en queue de cheval, et au visage bronzé. Ils se connaissaient depuis trois ans, c’est-à-dire depuis que Jeremy a commencé à venir ici. Avec le temps ils sont devenus de bons amis, chose assez difficile de nos jours.
- Ca va… Et toi ?
- Ca peut aller. Vivement la débauche, quoi… lança Bob en veillant à ce que son patron ne l’entende pas.
- Tu viens à peine de commencer à travailler et tu veux déjà partir ? ricana Jeremy.
- Qu’est-ce que tu veux… Bon qu’est-ce que je te sers ? La même chose que d’habitude ?
- Non, je vais changer pour une fois… fit Jeremy en regardant le panneau qui faisait la liste des différents plats servis aujourd’hui. Je prendrais du riz avec une escalope de dinde s’il te plaît.
- C’est parti !
Bob commençait à partir en cuisine, mais il se retourna sans s’arrêter et demanda :
- Sauce ?
- Oui, s’il te plaît.
- Ca marche… »
Moins de cinq minutes plus tard, Jeremy était en train de manger. Bob était en train de servir d’autres clients. Jeremy, lui, ne pensait à rien. Il profitait de ce moment de paix. Il soupira en voyant une caméra au plafond et une autre sur un lampadaire. Mais il savait très bien que ce n’était pas les seules. Ces petits boîtiers noirs, à peine plus gros qu’une pièce de deux euros, et cachés sous la table ainsi qu’au dessus de la lumière qui pendait au dessus de sa tête, étaient en fait des micros. Jeremy ne voulut pas y prêter plus d’attention que nécessaire. Il avait l’habitude d’être constamment espionné.
« Bien mangé ? lui demanda Meg, la femme du patron, pendant que Jeremy lui tendait son poignet.
- Comme toujours, lui répondit-il en souriant.
Elle scanna son poignet et lui dit combien il lui restait. Jeremy la remercia puis la salua.
- Et tu donneras le bonjour à ton mari, tu veux bien ?
- Aucun problème.
- Merci. A demain.
- A demain. »
Il sortit, faisant un signe de la main pour saluer Bob, qui le lui rendit. Après quoi, Jeremy se fraya un passage à travers la foule qui se massait autour des meilleurs magasins, cherchant encore de quoi manger. Trop de monde… Jeremy n’aimait pas ça. Si des « protecteurs » venaient à passer dans le coin, ça risquerait de mal tourner. Jeremy ne pensait pas être quelqu’un de lâche. Il avait vu des lâches au cours de sa vie. Des gens vendant leurs amis, leur famille, pour gagner des points afin de devenir des « saints ». Ca le débectait plus qu’autre chose… Mais il était prudent. Il décida de couper à travers les parkings souterrains, où étaient garées les anciennes voitures, avant d’être détruites ou démontées. On récupérait ce qu’on pouvait. Cependant, le travail était long, très long. Le parking par lequel passa Jeremy était toujours rempli. C’était là qu’on examinait et triait les voitures. Les plus belles étant mises de côté pour les « héros ».
Le plafond, plutôt bas, était éclairé par des néons assez longs. Le sol était vert et plutôt glissant. Jeremy marchait au milieu de l’allée, se repérant grâce aux panneaux. Ce n’était pas la première fois qu’il venait ici, mais il n’avait pas encore tout à fait mémorisé le trajet. Il passa devant plusieurs dizaines de voitures puis descendit d’un étage, car la sortie qu’il cherchait et qui donnait directement dans sa rue était un étage en dessous.
C’était calme. Il n’y avait pas un bruit si ce n’est le grésillement que faisaient les luminaires. Jeremy appréciait le calme. Pour certaines personnes, c’était angoissant, pour lui c’était reposant. Il avançait à son rythme, les mains dans les poches, sa veste noire se mêlant dans l’ombre par moment et contrastant avec le reste quand la lumière se posait sur elle. Elle semblait même luire à ces moments-là. Tout ça raviva en lui des souvenirs enfouis depuis longtemps. Il eut l’impression d’être dans un autre univers, dans un autre monde, à une autre époque. Ses parents étaient là, avec lui. Il était dans les bras de son père et sa sœur était dans les bras de leur mère. « Cindy… »
Un bruit le tira tout à coup hors de ses souvenirs. Il s’arrêta net et se tourna vers ce bruit. Il se préparait déjà à se défendre. Il savait que ça pouvait être des contaminés qui cherchaient à lui voler quelque chose. Tout pouvait servir, vêtements, chaussures, tout. Même si on ne possédait pas grand-chose, on pouvait essayer de vous le voler. On l’avait déjà agressé plusieurs fois, mais il s’en était toujours tiré avec seulement quelques bleus. Prêt à riposter si on l’attaquait, Jeremy fut surpris de voir une adolescente assise contre la roue avant d’une voiture, à bout de souffle et les larmes aux yeux. Il la regarda, elle lui jeta un regard rapide, espérant qu’il s’en aille et la laisse. Mais Jeremy se demanda ce qui se passait et voulut savoir s’il lui était possible d’aider cette fille. Elle avait l’air mal en point…
« Ca va ?
- Partez… lança-t-elle à voix basse, mais tout en étant ferme.
Jeremy ne comprit pas. Il allait dire quelque chose d’autre mais elle répéta :
- Allez-vous-en ! Partez !
Allez savoir pourquoi, Jeremy fit l’inverse de ce qu’elle lui demandait. Il se rapprocha d’elle.
A peine eut-il fait un pas qu’un coup de feu retentit…



Chapitre 2 :


Article 2 –
Chaque « contaminé » n’a de vivre que le droit.


Jeremy se jeta par terre. Il n’avait pas été touché, mais il aurait pu l’être s’il n’avait pas bougé au dernier moment. Il se mit à couvert et rejoignit la fille, qui portait un jean bleu et un sweat bleu ciel à capuche. Il sentit son cœur battre la chamade, mais ce n’était pas à cause de l’adolescente. Elle avait beau être charmante, avec ses boucles brunes – une partie étant attachée en queue de cheval, l’autre formant une mèche qui lui cachait légèrement l’œil gauche – avec sa peau claire et ses yeux verts, mais pour le moment, Jeremy se posait surtout des questions. « Qu’est-ce qui se passe… ? »
Il se tourna vers la fille, s’apprêtant à lui demander quelque chose, mais il se retint, entendant des voix et des bruits de pas. Il ne comprenait toujours pas pourquoi, mais il récapitula rapidement la situation. Des hommes – combien ? Il n’aurait su le dire – voulaient les tuer tous les deux, la fille et lui. Ils possédaient des armes à feu. Et ça, ça rendait les choses plus compliquées. Il s’imagina des plans, pour s’en sortir. Il savait qu’il devait agir plutôt que de rester là à attendre qu’une solution lui tombe dessus. Ce monde ne permettait pas aux faibles de s’en sortir… Et il n’était pas un faible.
Il regarda rapidement autour de lui. Une poubelle, à deux mètres sur sa droite, prêt d’un pilier, entre deux voitures. La porte de sortie était à moins de cinquante mètres, mais il fallait les parcourir sans qu’on les voie, et Jeremy ne savait pas s’ils étaient loin d’eux ou non. Il se décida pourtant à agir le plus vite possible. Il se mit à croupi et se déplaça jusqu’à la poubelle. Il récupéra deux déchets suffisamment lourds pour faire du bruit et pas trop gros pour qu’on ne les remarque pas. Il retourna vers la fille, qui le regardait faire, au bord de la panique, sentant ses bourreaux se rapprocher.
Jeremy se redressa doucement derrière une des fenêtres et regarda autour d’eux. Il aperçut deux hommes, chacun armé d’un revolver. Ils ne portaient pas d’uniformes noirs. « Des « saints » ? Ici ? » s’étonna Jeremy. Ce n’étaient pas des « protecteurs », c’était une certitude, et ils n’étaient pas des « contaminés », ça ne faisait aucun doute. Alors, que faisaient des « saints » dans cette partie là de la ville ? Jeremy mit cette question de côté et se dépêcha, tout en prenant en compte la possibilité suivante : ils n’étaient peut-être pas seulement deux. Il se cacha derrière l’aile avant d’une voiture et entrevit les escaliers menant au sous-sol. Il lança les deux détritus en même temps, espérant leur faire croire que c’étaient eux deux qui se déplaçaient.
Ils mordirent à l’hameçon et coururent vers les escaliers. Jeremy fonça vers la fille et lui prit la main, ne tenant pas compte de ses protestations puis la tira avec lui. Il les mena vers la porte de sortie. Il espéra que tout se passe bien…
A moins de deux mètres de la sortie, il sentit comme une présence hostile, presque assassine. Il fit passer la fille devant lui et la poussa devant. Elle disparut derrière un mur et Jeremy se jeta par terre. Moins d’une seconde après, deux balles ricochèrent contre le mur d’à côté. Jeremy ne chercha pas à savoir qui c’était. Il se releva et prit à nouveau la main de la fille, la forçant à courir avec lui.
Trente secondes plus tard, ils sortirent du parking. La fille n’en pouvait plus. Jeremy était tendu au maximum. Il regarda à droite et à gauche avant de partir sur la droite, espérant se fondre discrètement dans la foule avant de trouver de petites ruelles peu fréquentées par les « saints » et les « protecteurs ».
A son grand soulagement, il y avait encore du monde dans les rues. Ils se rapprochèrent d’une foule suffisamment compacte et se faufilèrent dedans. Jeremy vit que la fille ne se sentait pas à l’aise. Soit elle était agoraphobe, soit elle était terrorisée par ce qui venait de se passer et elle se méfiait de tout le monde. Jeremy pencha pour la deuxième possibilité. Cependant, elle lui tenait la main fortement.
Jeremy comprenait qu’ils devaient marcher doucement pour éviter de se faire repérer. Les « protecteurs » trainaient encore dans ces grandes rues. Et à cette heure là, il y avait de grands risques qu’une altercation entre l’un d’eux et un contaminé prenne des allures d’opération de protection de niveau un.
Jeremy se souvenait d’une opération de ce genre qui avait eu lieu à quelques kilomètres de chez lui, lorsqu’ils avaient encore le droit de voir de la famille et de s’occuper de leurs grands-parents. Deux contaminés s’étaient légèrement embrouillés – au sujet de l’avenir d’un des membres de leur famille à priori – mais un protecteur s’en est mêlé. Ils lui dirent que ça ne le regardait pas et que ça ne nécessitait pas une intervention de sa part, mais il le prit mal et en frappa un. Puis l’autre le frappa. D’autres protecteurs arrivèrent, d’autres contaminés aussi. Au final, ça termina en une « opération de protection de niveau un ». Bilan des courses : cent soixante treize contaminés interpellés, quarante six emprisonnés, neuf blessés – dont un enfant – et beaucoup de blessés, qui n’eurent pas le droit d’aller à l’hôpital car ils furent enregistrés comme « délinquants confirmés ». La plupart d’entre eux n’avaient pourtant fait que prendre les coups à la place des enfants ou des femmes qui s’étaient trouvés au mauvais endroit, au mauvais moment. Ce jour là le marqua car trois jours plus tard, ses parents disparurent et il se retrouva seul avec Cindy.
Puis elle aussi finit par disparaître de sa vie…
Un mouvement furtif le tira hors de ses pensées. Il crut apercevoir quelque chose sur la gauche. Il tourna légèrement la tête et aperçut quelqu’un qui les doublait, une femme, à une dizaine de mètres de là, un téléphone portable à la main et collé sur l’oreille. Jeremy n’hésita pas.
- Viens, dit-il à la fille en tournant le plus tôt possible dans une ruelle à droite.
Elle ne posa pas de question, mais son regard voulait tout dire. Elle avait compris que quelque chose n’allait pas. Et elle se demandait quoi. Jeremy ne dit rien de plus et ils marchèrent plus vite.
Ca ne servait à rien d’essayer de passer inaperçu. Un jeune homme et une adolescente se tenant la main dans une ruelle, c’était déjà trop suspect pour espérer ne pas voir de protecteurs se pointer dans les cinq minutes suivantes. Il leur fallait désormais se tirer en vitesse et se planquer le plus tôt possible.
La ruelle en question était large de trois voire quatre mètres, et elle longeait deux résidences hautes de plusieurs dizaines de mètres. Il n’y avait pas de système de surveillance très élaboré – seulement des caméras tous les dix trente mètres – mais les portes étaient sûrement fermées.
Jeremy se retourna brièvement. Son sang se glaça et il ne sut pas s’il devait se féliciter d’avoir suivi son instinct ou se maudire d’avoir eu raison. La femme en question surgit de la foule, le téléphone encore collé à l’oreille, et elle les repéra. Une cinquantaine de mètres les séparaient. Jeremy vit ses lèvres bouger puis elle raccrocha et plongea sa main dans son dos.
- Et m…. commença Jeremy avant de s’interrompre et de se mettre à courir le plus vite possible.
Un coup de feu retentit, faible, silencieux. La balle les manqua de peu et passa au dessus d’eux.
Jeremy poussa un juron entre ses dents serrées.
Il mit la fille devant lui mais ça les ralentissait. Pourtant il ne pouvait pas la laisser courir derrière lui. D’autres coups de feu suivirent, ricochant autour d’eux. En regardant brièvement derrière lui, Jeremy constata que la femme ne cherchait pas vraiment à les rattraper, mais plus à les tirer comme des lapins.
Ils arrivaient néanmoins à augmenter la distance qui les séparait d’elle. Jeremy s’en réjouit presque.
Sauf que l’adolescente s’arrêta net et qu’il la heurta violemment, tant et si bien qu’ils tombèrent. Avant qu’il ne puisse comprendre ce qui se passait, un coup de feu, plus fort que les autres, résonna et une balle ricocha juste devant lui.
Instinctivement, il se mit sur la jeune fille et la couvrit pour la protéger. Les tirs cessèrent. Il leva la tête, sans bouger, et vit un homme au bout de la ruelle, en face d’eux. Celui-ci tenait un revolver d’un très gros calibre. Jeremy jeta un coup d’œil derrière. La femme marchait doucement vers eux. Il regarda alors autour de lui. Les portes les plus proches étaient fermées, les caméras de surveillance tournées vers le ciel – il ne comprit pas pourquoi ni comment – et les bruits de la foule couvrait les bruits des tirs.
Ils étaient fichus.
Il regarda la jeune adolescente. Elle tremblait. « Normal… » pensa-t-il en essayant de trouver une solution.
Mais rien ne lui vint à l’esprit…
Il se redressa doucement, tout en protégeant la fille du mieux qu’il put, et ils finirent par se relever.
La femme et l’homme les visaient. La femme était vêtue d’un pantalon noir et d’une veste grise et l’homme portait un costume noir. Inconsciemment, Jeremy poussa la jeune fille doucement contre le mur, derrière lui. Il ne la connaissait pas, mais il la protégeait, tout comme il avait protégé Ci…
- Remets nous la fille et nous te laisserons partir vivant, lança l’homme.
Jeremy ne dit rien. Il sentit la peur gagner la fille. Il comprit que s’il la leur laissait, quelque chose de pire que des bleus viendrait couvrir son corps. « Du sang… Son sang… » devina-t-il.
- Hors de question… répliqua-t-il, fermement.
- Tant pis… fit l’homme en faisant un signe de tête à l’intention de la femme.
Ils levèrent leurs armes et se préparèrent à tirer. Jeremy ferma les yeux. La jeune fille se cramponna à ses vêtements. Il sentit qu’elle s’en remettait à lui, qu’elle n’espérait plus qu’une chose…
« Sors-nous de là ! »
L’espace d’une seconde, Jeremy eut l’impression que le temps s’arrêta. Une sensation de vide s’empara de lui, l’entourant, le protégeant, lui ainsi que cette fille qu’il ne connaissait pas.
Il sentit son désir de la protéger devenir plus fort. Il n’avait jamais rien voulu jusqu’à maintenant, si ce n’est survivre, et ce pour différentes raisons. Mais ces raisons n’étaient pas les siennes…
Mais là, il avait enfin quelque chose qui lui tenait à cœur plus que tout autre chose. Il voulait la sauver. La protéger.
Il sentit quelque chose éclater en lui. Tout devint blanc autour de lui. Il ne vit plus rien. Les choses semblaient disparaitre autour de lui pour ne laisser place qu’à un espace blanc et vite. Tout ça se fit instantanément, sans qu’il ait le temps de se rendre compte de ce qui se passait.
Puis il eut l’impression de disparaître à son tour…

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