CXCII. Art poétique :
Il y a parfois des poésies désincarnées
en vers myopes, regards flous et égarés,
parfois en lignes embrasées, strophes ignées,
lignes brisées, éclats colorés, bigarrés.
Oui, certains poèmes sans incarnation
manquent cruellement de cette texture
apportée par le chant d'une carnation,
pas d'amour et pas d'histoire ou d'aventure.
Un poème au naturel et sans femme
n'est pas un chant en joyeuse libation.
C'est un exercice mécanique sans âme
et non des sentiments en exultation.
Il faut le souffle tiède d'une douce
respiration, là en tendre abandon.
Il faut une peau comme pétale rousse
de rose, odeur capiteuse d'un don.
Aèdes rabougris avec vos jolies fleurs,
ne craignez vous pas de lasser, mièvrerie
infâme de damoiseaux, monde sans couleur.
Ni orgues, ni palpitations, moqueries.
Oui, une peau, une rougeur et un pouls
qui rythme en douce et tendre prosodie
la danse gaie de ma plume en ses à-coups
qui rêve que chaque jour soit un mercredi.
Aèdes aveugles, laissez vos mortes statues
dont le regard est plus vif que votre myopie ;
osez choisir dame et chanter ses vertus
à en râle-mourir, défiant l'entropie.
Plongée dans l'encre de ses yeux, cette plume
inspirée volette et descend vers elle,
légère en papillon gai et non enclume
en lourds pieds académiques sans ailes.
Osez vos strophes soulever avec souffle
comme la belle poitrine de l'amante
quand couchée elle abandonne pantoufles
et ourle ses lèvres en couleur d'amarante.
Parler des fleurs est une poésie triste
et sans odeur en parfums et non effluves.
C'est là une démarche d'égocentriste
sans la chaleur de passion en étuve.
Un parfum n'est rien qu'un souvenir très froid,
sans peau pour le réchauffer, enfin l'exalter.
Comme pour extraire l'épice que l'on broie
pour bien ressentir, il faut la vue occulter
et s'ouvrir, ressentir, être en empathie.
Seul celui qui aime peut alors percevoir.
Seul celui qui voit peut sans être abruti
chanter la myrrhe, l'encens, l'or et l'ivoire.
Oui je vous le dis, sans une compagne
à chanter pour le monde enfin enchanter
en bulles de champagne, pays de cocagne,
comment faire croire à bonheur mérité.
Et vous ?