Un chaton sur les genoux, frissonnant, dolent
je rêvasse à la mer, ses embruns, ses vagues
qui secouent promeneurs, navires et chalands,
pour nous inciter à voguer au grand largue.
Je me vois, habit blanc arpentant la dunette,
surveillant les matelots qui là œuvrent,
scrutant l'horizon loin avec ma lunette.
Eh toi bosco, surveille donc la manœuvre.
Le grand pavois est hissé, belles couleurs.
Trois coups de canon, un adieu vers le large,
alors que les voiles déployées, sans douleur
nous voguons et nous éloignons du rivage.
L'étrave frémit en moustaches d'écume
sous le beaupré et la vénus callipyge,
de cette nef appelée Belle enclume.
Un nom stupide que la rime exige.
Nul besoin de cartes, non plus de portulan.
Le vent, la houle, le courant et la mouette
seront nos guides et les cris des goélands
rythmeront la cadence. Ça c'est chouette.
Solitaire, la vigie en son nid-de-pie
jacasse. Elle scrute, veille aux récifs.
Autour du grand mât, les mouettes pépient.
Le vent qui nous pousse hors de la baie est vif.
Le premier-maître fait larguer les huniers.
Les gabiers perchés dans la hune, sous Lune
s'affairent sans voir le rivage s'éloigner.
C'est ainsi que le marin part sans rancune.
Adossé contre le mât d'artimon,
je pense au paysan menant sa charrue
dans la glaise, les bœufs accrochés au timon.
Sommes-nous plus libres, à pêcher la morue ?
Alors que calmes nous embouquons la passe,
la houle frappe l'étambot comme marteau
sur enclume. Les vagues là se fracassent.
Les lames se croisent, étrange bonneteau.
Paressant près d'un espar sous la misaine,
un matelot joue de l'harmonica, yeux clos,
et rêve de terres chaudes et lointaines.
Sa tête dodeline bercée par les flots.
La longue houle roule, flot indifférent.
Voguons ailleurs, sous d'autres étoiles jaunes,
sans passé, pouvoir devenir différent.
Echapper à l'existence monotone.
Le chaton éternue, gémit, un petit cri.
Retour à tes yeux bruns, regard affectueux,
c'était là douce et plaisante rêverie.
Une croisière, nous deux en amoureux.