Il n’y a pas si longtemps, en une proche et belle contrée;
Vivait un petit village, avec son grand clocher.
Avec ses gens du village, et son bel imbécile.
Qui, ma foi, nanti de sa belle, et noble fonction;
Curait les fossés, de la plus gracieuse des façons.
Appliqué à ses corvées, sans répondre aux quolibets,
Pas plus qu’aux crachats, ni aux dures pavasses,
Que lui jetaient les mouflets. Il vivait humblement,
De sa petite vie bien tranquille, de bien bel imbécile.
Un jour qu’il scrutait, au loin; Il vit sur la route,
Hissé sur son disciple, un vieux sage malicieux;
Comme le font les gros moines, qui montent sur leurs petits ânes.
Ils avaient, tous deux, fière allure ! Quel homme ! Quelle monture !
L’un, hilare, comme un enfant; L’autre, écarlate, de peine soufflant.
Arrêtés à l’abreuvoir, de la grand’place, disciple plonge sa tête,
En premier, au beau milieu des têtards, pour apaiser sa grand’soif.
Le cantonnier, bien que débile, éclata d’un bon rire, bien gras;
Quel est ce vieil homme, aussi sage qu’il soit ? Qui dresse son élève
Á être, plus bête encore qu’il n’est ? Dit-il, à voix haute et sincère.
Car les imbéciles parlent fort, c’est bien connu, dans nos petits villages...
Quel est ce paysage, aussi joli qu’il soit ? Qui, de ses enfants aux yeux perçants,
Et à l’esprit pénétrant; En fait de vulgaires cantonniers, et les traite en chèvres ?
Répondit le sage, de rire pouffant. Alors, dis-toi bien, dit le sage;
Toi, qui raisonne. Ne t’étonne pas que je leur rapporte, après trois mois d’orage,
Le plus savant élève, de leur bien belle école ! Á trop confondre les bêtes,
D’avec les humains; Je ne suis pas étonné, quant à moi, de m’être fait
Affubler d’un si bel âne ! Dont on ne pourra rien tirer ! Mais, fort bien !
Toi, tu es là, faisons l’échange; Ils n’en sauront jamais rien ! Se moqua le sage.
Je préfèrerais de loin, un élève, qui se croit cantonnier, à cet âne bâté !
Aussitôt fut conclut cet honnête marché; Et tout rendra dans l’ordre... En sorte.
Le vieux sage, ayant trouvé son disciple, pût enfin pratiquer sa dialectique;
Quant au village, qui n’y a vu que du feu, il a conservé son bel imbécile...
Sujet: Le sage, l’imbécile et le disciple